Impossible de ne pas être impressionné devant les images de Laurent Duvoux. D’une part, par la force de ses idées et d’autre part, par l’efficacité de son graphisme entièrement au service de l’idée. Chaque illustration de Laurent est une bombe visuelle dont l’impression de simplicité cache un énorme travail de conception. En plus de trouver LA super idée et de l’exprimer magistralement par l’illustration, le travail de Laurent nous rend intelligent en faisant appel à notre capacité à faire des rapprochements et des associations d’idées. Il sait que nous saurons comprendre de quoi il parle et fait de nous son complice. Jamais vous ne le prendrez en flagrant délit de fainéantise intellectuelle avec une idée toute faite. J’aurais aimé être un neurone glissé dans son cerveau pour comprendre comment tout cela fonctionne, à défaut, je lui ai posé trois questions !
Comment naissent tes idées ?
Les délais dans la presse étant souvent très courts - 3 à 4 jours entre le brief et le rendu - je ne peux pas perdre trop de temps. À la réception d’un sujet à illustrer, je lis plusieurs fois l’article, je passe en gras les passages les plus importants, je relève les mots clés et je commence à y réfléchir tout de suite. Je note toutes mes idées sans me réfréner, puis je laisse passer la nuit. Le sommeil permet à la fois de s’imprégner inconsciemment du sujet et d’avoir un regard neuf pour évacuer le lendemain les premières idées pas toujours intéressantes. Ainsi, j’ai la sensation de mieux maîtriser le sujet et de pouvoir être plus efficace.
Je passe 70% du temps à la conception d’une illustration et 30% du temps à sa réalisation. La conception se passe devant une pile de feuilles blanches que je remplis de croquis très rapides. Lors de la phase de recherche, je me dois d’être assidu et concentré. Je fouine sur internet à l’aide de mots clés et de synonymes, je lis d’autres articles en rapport avec le thème, parfois, je me documente lorsque le sujet est complexe ou ne m’est pas familier. J’essaye de trouver des métaphores, des expressions du quotidien, des symboles et des références qui parlent au plus grand nombre.
Il m’arrive parfois de coincer sur un sujet et de ne rien trouver de satisfaisant au bout d’une journée de recherche. Alors, je procrastine un peu : réseaux sociaux ou autre et j’y retourne. Je ne lâche rien avant le tout dernier moment où je dois envoyer mes propositions. Quel que soit le sujet, j’ai toujours l’impression qu’une bonne idée se cache quelque part.
Je ne note jamais d’idées en dehors des briefs. Je range juste dans un tiroir les croquis que j’ai réalisés sur des bouts de papier lors des commandes et je ne retourne jamais les voir. Finalement, la machine ne se met en marche qu’à la lecture d’un l’article à illustrer. Le reste du temps je déconnecte.
Comment abordes-tu la question graphique ?
Une fois l’idée trouvée, je dois être sûr de pouvoir prendre du plaisir à sa réalisation avant de la présenter au client. Il m’arrive de rejeter une piste pour la simple raison que je ne me projette pas dans son exécution. Je m’efforce de faire des choix graphiques qui ne soient pas trop chronophages en termes de temps (foule de personnages, ville en perspective... etc.) De toute façon, je n’aime pas passer trop de temps sur une illustration.
Ensuite, je redessine rapidement en noir et blanc mes pistes retenues sur Illustrator pour les présenter au client. Cette étape permet de voir si mes idées tiennent la route graphiquement. Parfois une idée ne fonctionne pas simplement parce que le format imposé est vertical et que mon idée ne fonctionne que dans un format horizontal. Dans ce cas je vois avec le directeur artistique s’il est possible d’adapter la mise en page, mais c’est rare que ce soit possible.
Mes choix graphiques sont principalement au service de l’idée et de sa compréhension. Je choisis ma gamme de couleurs d’abord en fonction du thème abordé dans l’article et du message à faire passer, ensuite au gré de mes envies. Je m’autorise de temps en temps des illustrations plus flat design, avec contour noir parfois, mais avec toujours en tête que le propos doit être défendu. L’ajout de mots ou de textes dans l’illustration signifie pour moi que l’idée n’est pas suffisamment compréhensible et qu’elle a besoin d’une béquille, c’est pourquoi je n’en utilise jamais dans mes illustrations.
Mon travail pour la presse m’a permis de toucher des clients dans le secteur de la communication pour des projets plus corporate. C’est très gratifiant car ces clients comprennent que je dois avoir la même « liberté » de conception s’ils veulent un résultat concluant. Une autre partie de mon travail graphique consiste à créer des infographies et des vignettes ou pictogrammes pour la communication. Ma façon de travailler est alors assez proche de celle pour mes illustrations de presse et j’y prends autant de plaisir. C’est presque de la relaxation que de trouver un équilibre qui fait qu’une vignette va fonctionner graphiquement.
Comme tous les créatifs, j’ai bien sûr mes périodes de doute. Très souvent, dix minutes après avoir envoyé mon illustration définitive, je me dis que j’aurais pu faire mieux. En revanche, je ne me sens pas touché par le fameux syndrome de l’imposteur. Je crois qu’il faut accepter et assumer son ego dans notre travail et se servir du doute pour progresser en cherchant à faire mieux à chaque projet.
En dehors des commandes ?
J’ai eu une période où j’avais envie de réaliser des illustrations personnelles. Depuis quelques années, j’ai la chance de pouvoir me satisfaire des projets de commandes. J’ai essayé le croquis aussi (pour faire comme tout le monde) et ça ne m’a procuré aucun plaisir. Je ne suis pas le genre d’illustrateur qui se balade avec un carnet sous le bras. Je reviendrai peut-être un jour à des projets personnels par le biais du design graphique (ma formation) avec la réalisation d’affiches purement graphiques ou typographiques.
Il y a l’illustration et le reste. Je ne suis pas illustrateur à plein temps et je découvre depuis peu le plaisir que procure l’entretien d’un jardin ! Il n’y a pas mieux pour se vider la tête, ne penser à rien sauf ce que l’on est en train de faire. C’est idéal quand on bloque sur un sujet. Je tonds la pelouse pendant une heure et je suis requinqué pour le reste de la journée.
Et puis il y a le plaisir de découvrir le travail d'artistes qui n'ont pas de lien direct avec mon travail mais qui me nourrissent quotidiennement : la musique avec cette soif insatiable de dénicher des artistes que je ne connais pas encore, un film dont la beauté des plans va me subjuguer, une exposition, que ce soit de la photographie, de l'art contemporain ou quoi que ce soit d'autre pourvu que ça me procure une émotion.
Je suis heureux en tant qu’illustrateur. J’aime l’idée que mon travail plaît à mes clients actuels et me permet de toucher de nouveaux clients, en tous cas suffisamment pour pouvoir en vivre. Et, en même temps, j’aime le fait d’être un parfait inconnu, de ne pas être une star de l’illustration submergé par des demandes. J’avance doucement mais sûrement dans ma carrière et c’est très bien ainsi. Je ne souhaite qu’une chose du point de vue professionnel : pouvoir continuer le plus tard possible en tant qu’illustrateur free-lance, car j’ai le sentiment qu’il me reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Merci à Laurent de nous avoir éclairé sur ses méthodes de travail et son parcours. Je vous recommande de vous attarder devant ses images et comprendre à quel point elles sont brillantes. Et pour qui a un jour été confronté à la recherche d’idée, vous saurez de quoi je parle. Le travail de Laurent Duvoux est visible sur son site www.laurentduvoux.com et sur Instagram @laurentduvoux