La petite cuisine du vintage graphique

Il y a quelques années, je publiai un livre sous le pseudo Alex Formika*, une sorte  de manifeste de mon style de l’époque où j’affichais une approche graphique rétro, inspirée directement des années 50-60. C’était ma marque de fabrique et je la revendiquais en tant que telle. Avec le temps, je me suis peu à peu éloigné de ce style. Des traces de mes influences rétros subsistent dans mes créations actuelles, mais j’ai souhaité m’en affranchir suffisamment pour qu’elles ne prennent pas systématiquement le dessus lorsque qu’on regarde mes illustrations. Cette métamorphose graphique a été pour moi l’occasion de réfléchir, après coup, à la notion de vintage dans les arts graphiques.

L'illustrateur de l'intérieur : la petite cuisine du vintage graphique

On peut dire que le vintage, ça marche à tous les coups ! Qui n’a pas été séduit par cette belle réclame sur plaque émaillée qui, accrochée au-dessus du canapé, donnerait beaucoup de cachet à la déco du salon ? N’avons-nous pas tous, chez nous, une « vieillerie » à laquelle nous tenons car elle éveille en nous un sentiment agréable ? Pourquoi donc ces créations du passé nous fascinent-elles à ce point ?

Pour le concepteur, il est toujours plus facile de partir de ce qui existe que de ce qui n’existe pas encore - coucou Lapalisse ! Que les créatifs aillent chercher des influences de design ou de graphisme dans le passé, n’est pas un phénomène nouveau. Qu’est-ce que la Renaissance, sinon que le retour au style antique ? Au XIXème siècle le graphisme reluquait sérieusement du côté du gothique. Plus proche de nous, dans les années 60-70, le style psychédélique avec ses enchevêtrements végétaux à gogo s’inspirait très largement de l’Art Nouveau. Récemment, les années 50-60 se sont rappelées à nous dans de nombreuses créations. Enfin, cela ne vous aura pas échappé, tout dernièrement, les années 80 reviennent au goût du jour.

Mais fouiner le passé à la recherche d’inspiration n’explique pas notre fascination du rétro. Il existe probablement plusieurs raisons à cela. Face à un monde qui accélère, qui se complexifie et qui donne le sentiment d’un avenir incertain, comme il est bon de se raccrocher au temps où tout semblait plus simple. Les bons gâteaux de mamie et l’odeur de l’eau de Cologne bon-marché de papi. Et même, cette époque d’avant notre naissance où tout était d’une simplicité enfantine et où rétrospectivement l’avenir ne pouvait pas nous inquiéter puisque c’est maintenant. Cette époque bénie coule dans notre cerveau comme une cuillère de miel dans notre gorge. C’était mieux avant ! A condition de faire fi des risques d’attaques thermonucléaires et autres problèmes sociétaux dont on préfère oublier qu’ils ont inquiété nos grands-parents. Ouais, c’était l’bon temps… du moins tel que l’on imagine que c’était.

Il y a la nostalgie aussi, ce sentiment humain qui nous procure un doux réconfort. La nostalgie comme une sorte de nid douillet où se lover quand c’est trop dur de sortir dans le froid du monde. La nostalgie de notre enfance, de celle de nos parents, injectée à plus ou moins forte dose, saura nous caresser le moral dans le sens du poil. Certains la regardent avec méfiance, d’autres s’y vautrent allègrement, mais ce qui est sûr, personne n’y échappe. C’est à notre nostalgie que s’adressent ces belles créations d’un monde parfaitement fantasmé ; les pros du marketing le savent et ne se privent pas de tirer la ficelle d’un temps qui n’est pas.

Enfin, vient l’idée que ce qui est vieux possède en soi une certaine valeur. Ce vieux magazine qu’on ne peut se résoudre à jeter, tous ces beaux objets dans la vitrine du brocanteur… Tout ceci a sans doute beaucoup de valeur puisque conçu à une époque où « l’on savait encore produire des choses de qualité », où l’on fabriquait à la main, avec un véritable savoir-faire artisanal. Nous n’imaginons pas que ce qui est conçu aujourd’hui produira le même effet dans les esprits dans vingt ou trente ans. A la recherche d’une authenticité perdue dans les méandres du temps passé, pourrait-on dire.

Quelques années suffisent pour que le ringard devienne vintage. Notre regard sur ce qui n’est plus évolue et nous gardons le meilleur du passé pour le déguster à présent. Nous autres créatifs, toujours en quête d’inspiration, nous sommes sensibles à cet aspect des choses, nous essayons de comprendre le pourquoi du comment de ce qui a été créé par le passé. Mais pour qui se place du point de vue de la créativité stricto sensu, les pâles copies de ce qui se faisait « à l’époque » n’ont pas grand intérêt, même si leur aspect esthétique nous titille gentiment l’œil et nous chatouille la nostalgie. En revanche, le vintage devient intéressant, quand les codes graphiques rétros sont parfaitement maitrisés, digérés et parsemés subtilement dans des créations contemporaines, de telle sorte que la magie poétique du passé opère mais, pour nous parler d’un monde d’aujourd’hui, ou même du futur. On pourrait dire alors qu’avec le vintage, c’était mieux demain !

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(*) C’était mieux demain, Anne Debrienne & Alex Formika, édition Akiléos (2014)

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