Le mot créativité est sans doute celui que j’ai le plus utilisé dans mes articles. Créativité par-ci, créativité par-là, créativité à toutes les sauces sans réfléchir deux minutes au sens que ce mot signifie vraiment et comment il se manifeste dans ma vie professionnelle concrètement. Le terme m’a sauté aux yeux quand, au détour d’une librairie, je l’ai vu apposé sur la couverture d’un livre de développement personnel. Qu’est-ce que la créativité, ce concept utilisé à tout bout de champs pour flatter les égos ou inquiéter les gens de nos métiers… créatifs (revoilà encore le mot) ? Si j’exerce un métier créatif, est-ce que cela suffit à faire de moi une personne faisant preuve de créativité ? Pas sûr ! Et si je vous disais que je détiens le secret de la créativité…
Il faut dire que le mot en lui-même impressionne, il fait autant rêver qu’il fait peur et on l’associe directement à Qui-Vous-Savez. La Création et toutes ses déclinaisons, n’auraient en quelques sortes rien à voir avec les affaires humaines qui nous occupent ici-bas. C’est le grand Mystère, le grand Secret auquel très peu de gens ont accès. Jusqu’à récemment, où le mot a été remis à l’ordre du jour comme par magie. Dorénavant la créativité est à la portée de tous et elle n’a plus rien à voir avec le frôlement de doigts de ces deux types plus ou moins à poil représentés par Michel-Ange dans sa célèbre œuvre La Création d’Adam.
Aujourd’hui, l’homo-capitalus se doit d’être créatif, absolument créatif, désespérément créatif ! Le terme a infusé toutes les strates de la société. Dans le milieu professionnel, comme dans le domaine privé, la créativité est de mise. Le monde néo-libéral n’en a jamais assez d’être toujours plus performant. Pour sortir du lot et atteindre les sommets de l’épanouissement individuel, il ne suffit plus d’être bon dans son domaine, il faut encore être créatif, même au quotidien dans sa cuisine ou dans son lit et surtout sur les réseaux sociaux. L’illustrateur n’y échappe pas. Normal, vous me direz, c’est la base de ce métier ! Cependant, le mot résonne comme une injonction (et alleeeez, une de plus !) Une injonction schizophrénique, car d’un côté, notre époque est plus conformiste que jamais (attention à vous si vous vous démarquez de trop !) et d’un autre côté, il faut être disruptif. Va trouver la bonne position du curseur ! Sachant que dans le monde de l’art, celui qui est trop créatif risque d’être incompris. Bref, soyez créatif, mais pas trop quand même !
Et la créativité en illustration ? Sommes-nous créatifs quand nous produisons une illustration « tendance », c’est-à-dire avec des formes et des couleurs vues et revues mille fois sur les réseaux ? Au point qu’il nous arrive de confondre le travail de Jules avec celui de Léon, et avec celui de Mireille, qui ressemble trait pour trait à celui d’Yvette. Nous croulons sous une avalanche d’images, alors quel intérêt de produire une image de plus, quasiment identique à toutes les autres ? Pour beaucoup, et moi le premier, nous reproduisons à l’infini ce que nous voyons en nous croyant créatif. Ne faudrait-il pas chercher des idées en dehors de notre mode d’expression favori, afin de retrouver une forme de créativité ? Personnellement, je le crois et c’est en dehors de l’illustration que je vais chercher mon inspiration.
À se pencher du côté du fonctionnement cognitif, voici comment les experts décomposent le processus créatif. Concentrez-vous, cela pourrait vous être utile ! Si nous prenons l’exemple d’une commande en illustration, il y aurait quatre phases dans le déroulement idéal du processus créatif : 1) La prise de connaissance du brief, 2) Le temps du repos, 3) Le développement d’idées et 4) La production définitive. Pour ma part, je rajoute une étape entre les temps 1 et 2, c’est-à-dire qu’immédiatement après la prise de connaissance du brief, je couche mes premières idées sur le papier sans me réfréner, puis je laisse reposer la pâte pour qu’elle gonfle. Cette étape fait aussi office, pour moi, de soupape à stress ; je peux mieux laisser reposer quand je suis certain de ne pas rester à sec d’idées. Toujours d’après les experts, la créativité consisterait aussi à combiner des choses totalement différentes, comme par exemple : un chameau, un igloo et un trombone à coulisse (bonne chance !) En somme, le fameux « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » de Lavoisier, mais appliqué à la créativité. Une sorte de tambouille avec les restes trouvés dans le frigo.
Enfin pour Edward de Bono, grand spécialiste de cette question, la créativité est un savoir-faire qui s’acquiert, qui se développe et qui peut être exploitée à bon escient. En gros ça ne tombe pas du Ciel, c’est une sorte de muscle que l’on peut sculpter par des efforts répétés et un travail régulier. Encore faut-il avoir le goût de l’effort et l’envie de travailler. Je ne suis pas loin de lui donner raison. Si j’en crois mon expérience, après des années d’entrainement, les idées me viennent aujourd’hui plus facilement que par le passé. En quelques sortes, la créativité engendre la créativité. Il s’agit cependant de rester vigilant et de ne pas céder à la facilité, ce qui serait contre-créatif.
Il est temps pour moi de vous livrer le secret de la créativité. Il me vient du Facteur Cheval, ce type qui, en ramassant les cailloux sur sa route, a construit un des palais les plus extraordinaires qui soit. S’est-il demandé s’il était créatif tout au long de l’élaboration de son édifice ? Non ! Son problème à lui a été de se mettre en marche et de poursuivre jusqu’au bout l’idée qu’il avait en tête (opiniâtre plus que créatif, le type !) Assez de verbiages sur l’épanouissement de soi ou de bla-bla sur les mécanismes du cerveau, tout ceci importe peu finalement. Je me fiche de savoir si je suis créatif ou non, tel un Facteur Cheval, je construis mon palais idéal, illustration après illustration et il aura la forme qu’il aura. C’est là tout mon secret.