S’il y a un sujet qui ne laisse pas indifférent le monde de l’illustration, c’est bien celui de l’agent artistique. La question génère beaucoup de fantasmes. On pense que l’agent artistique va nous permettre de décrocher à coup sûr la timbale et les étoiles en or massif. Les créatifs se posent beaucoup de questions sur le sujet. Celles et ceux qui n’ont pas d’agent : « Est-ce que ça vaut le coup d’avoir un agent ? Comment fait-on pour avoir un agent ? » Et puis, pour les déçus déjà représentés par un agent : « il ne me trouve pas de boulot, il ne promeut pas assez mon book, … etc. » Dans les rêves délirants du créatif, l’agent c’est un peu celui qui organise la météo du marché de l’illustration. Il déciderait de qui profitera du beau temps de qui se perdra dans le brouillard. Il détiendrait surtout la recette pour faire de l’illustrateur un homme riche et célèbre (et pareil pour l’illustratrice). Le sujet revient souvent sur la table et la sauce est souvent trop piquante. Pour avoir été représenté à trois reprises par un agent, mon avis vaut peut-être le coup d’être exposé, même si, l’idéal est encore de se faire sa propre opinion en se frottant directement à l’agent artistique.
La toute première fois… Avec mon premier agent, on peut dire que les choses se sont passées un peu toutes seules. Il y avait un éditeur de bande dessinée qui se lançait comme agent artistique pour les dessinateurs de la maison qui souhaitaient « faire de la commande ». Je vous parle d’un temps où répondre à des commandes pour la communication ou la publicité, pour un auteur de BD, c’était un peu comme claquer la bise au Diable. J’ai pactisé avec ce dernier, tout en développant en parallèle mon propre carnet d’adresses. Mes revenus provenant de cet agent n’ont jamais dépassé 5% de mon chiffre d’affaire. C’était toujours « ça de pris ». Après quelques années de collaboration plus ou moins fructueuses, l’envie d’accélérer le pas et la tentation de voir si l’Enfer était mieux ailleurs, j’ai quitté mon agent pour un diablotin.
Paillettes et clopinettes ! Avec ce deuxième agent, j’avoue avoir été attiré par la lumière rayonnante de son magnétisme. Il jouissait d’une belle réputation dans le milieu de la communication et de beaux projets illustrés ont vu le jour grâce à lui. Pour brouiller les pistes, il m’avait même conseillé de changer de pseudo quelques temps. Exit Clod, j’étais devenu Alex Formika ! Ça sonnait bien avec mon style de l’époque un peu vintage. Ça n’a pas fait long feu. Au bout d’à peine un an - et quelques déceptions que je garde pour moi - j’ai quitté la lumière et le costard à paillettes, qui ne m’allait pas de toute façon, et je suis rentré chez moi, mon pseudo en plastique sous le bras. Je suis redevenu moi-même, c’est-à-dire : Clod ! La route qui mène à l’Agent est longue et tortueuse, et le chant des sirènes parfois nous attire ; il ne faut pas trop leur prêter l’oreille.
Jamais deux sans trois ! Contrarié par cette deuxième expérience aussi courte que décevante, je ne voulais plus entendre parler d’agent. Après tout, je m’en sortais bien tout seul. J’ai rapidement cédé à la tentation d’y goûter une troisième fois. Pourquoi ai-je accepté cette nouvelle aventure ? L’aventure, justement. Mais surtout, après un premier rendez-vous avec ce troisième agent, j’ai compris que nous partagions le même point de vue sur la relation agent-illustrateur et nous parlions le même langage. Notre collaboration dure. J’ai découvert que le ciment d’une relation durable et épanouissante est basée non seulement sur la confiance, mais aussi sur le respect de nos savoir-faire respectifs. Rien n’est possible sans ça.
C’est bien joli toutes ces histoires, mais que peut-on tirer de ces trois expériences ?
Un agent ce n’est pas ta mère, ni ton psy. Il a d’autres chats à fouetter (par exemple, te trouver du boulot) que de te remontrer le moral parce que tes doutes artistiques te paralysent ou bien parce que les commandes pleuvent partout sauf sur toi. Appelle plutôt tes parents ou tes potes.
Un agent est un commercial au sens noble du terme. S’il a choisi de te représenter, c’est parce qu’il croit en toi et qu’il voit dans ton travail un potentiel commercial. Son intérêt c’est que tu aies du succès. Il va donc tout faire pour promouvoir ton book. Aucun agent ne prend dans son équipe un créatif pour ne pas s’en occuper. Quel serait son intérêt sachant que cela lui coûte du temps et de l’argent ? Fouille plutôt dans tes cartons à dessin pour lui donnes de quoi nourrir ton book.
Un agent n’est pas responsable de ton « talent ». J’entends ici par « talent » le fait d’être ou non en phase avec les tendances du moment, indépendamment de la qualité du travail de chacun. L’agent peut avoir du flair en choisissant de te représenter, mais il peut aussi se tromper. Il se peut que tes illustrations, pour une raison ou une autre, ne rencontrent pas le succès escompté. Un agent n’a pas le pouvoir magique de plier les tendances pour qu’elles correspondent à tes choix artistiques. Retire plutôt tes lunettes de soleil et observe le monde qui t’entoure pour en tirer quelque chose d’attractif.
Un agent connait bien le marché. Il connait les bonnes personnes, les prix et les droits. Tu bénéficies de sa réputation. C’est un gage de qualité auprès de tes clients que d’être représenté.e par un agent. C’est signe que tu es un.e pro. Sans compter qu’il y a des agences que tu pourras difficilement approcher, sans agent. Profite de cette situation plutôt que de chercher la mouche là où il n’y en a pas.
Un agent peut te donner quelques bons conseils. Il est très difficile d’avoir un retour objectif sur son travail et d’avoir assez de recul pour juger soi-même de ce que l’on produit. Si tu as envie de les recevoir, les conseils d’un agent seront toujours bons à écouter. Qui peut se permettre de te dire ce qui pourrait être amélioré dans ton boulot, à part un agent ? À toi de voir ce que tu peux accepter d’entendre ou pas, il n’y a pas de vérité en la matière.
Être représenté.e par un agent peut faire peur. Certains clients potentiels n’oseront peut-être pas te contacter car ils estimeront, à tort, que tu seras trop cher ou que tu ne seras pas assez disponible pour leur projet. C’est le seul point négatif à mon sens. Dis-toi plutôt qu’une commande bien négociée remplacera aisément deux commandes perdues.
Pour toutes ces raisons, un agent c’est bien plus que le pourcentage qu’il rapporte ou qu’il s’octroie. Certes il y a des agents qui ne font pas bien le job et des créatifs qui atteignent quand même des sommets sans agent. Tout est possible, c’est tout l’intérêt de notre métier. Gardons en tête que les crayons sont entre nos mains, et pas celles d’un agent. Être soi-même quand on illustre, le faire avec passion et si par chance, notre univers rentre en connexion avec le monde, un agent le repèrera, il fera monter la chantilly et si ça prend, on pourra déboucher le champagne et même décrocher les étoiles. En attendant, boire de l’eau claire c’est déjà pas si mal.